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Clandestino

Oubliez les amours enfiévrées à souhait entre Leonardo Di Caprio et Kate Winstlet dans « Titanic », le blockbuster à succès de James Cameron qui a raflé tant d’Oscars, cette fois c’est une version beaucoup plus intime, aussi confidentielle qu’inédite qui nous est contée. « The great disaster  » qui faisait l’ouverture de la 14 ème édition de ThéâtraVallon est un texte de Patrick Kermann jouée par une troupe d’Albi, la Compagnie « Et encore les bouchons ça flotte », dont le nom même est un clin d’œil à ce récit. C’est l’histoire d’un berger italien au patronyme prédestiné, Giovanni Pastore, lequel rêve de s’embarquer pour l’Amérique pour s’inventer un destin. En fond de cale, relégué en troisième classe, il survit d’un travail de plongeur, nettoyant inlassablement chaque jour 3177 petites cuillères ,- très exactement-, absolument absent des registres officiels et donc jamais répertorié dans aucune statistique… disparu, inconnu et in fine à jamais invisible! La mise en scène aussi habile qu’inventive d’Emmanuelle Picaud nous propose au contraire de nous immerger complètement au cœur de cette aventure humaine, au plus profond, à la place même du héros pour mieux en ressentir de l’intérieur à la fois sa dimension tragique individuelle certes, mais bien davantage l’inscrire dans une vision politique et sociale très contemporaine. Le Titanic tel qu’il se dévoile c’est avant tout un microcosme du monde actuel où les différences s’exacerbent, les fossés se creusent toujours davantage avec ces nantis qui se pavanent, s’exhibent dans des vêtements d’apparat, et n’ont ni considération ni culpabilité face aux anonymes, aux plus humbles, aux exclus… Découpée en dix tableaux et avec moult références historiques précises, c’est un témoignage d’une intensité dramatique qui va crescendo, où les mots résonnent de justesse et d’acuité. Derrière l’archétype du personnage principal affublé d’un pantalon de velours retenu par des bretelles et casquette rivée sur la tête, on devine les sentiments contradictoires qui l’envahissent, de ses souvenirs du pays avec la mamma, à son quotidien dans la cambuse… Bruitage très étudié ou musique de circonstances, symphonie d’ustensiles ménagers ou réplique lancinante –« la mer a sa mémoire »-, dialogues en italien ou lecture de lettres bouleversantes, la pièce brillante quant au fond se nourrit de l’énergie et de l’enthousiasme des comédiens pour proposer un souffle épique à cette page de notre histoire moderne.

Un spectacle ambitieux autant que convaincant.

Publié le 7 mars 2020 par globetrotter12 pour les chroniques de Jean Dessorty

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